Henri-Pierre ROCHÉ

HENRI-PIERRE ROCHÉ ET SAINT-ROBERT

 

Henri-Pierre Roché (1879-1959) fut diplomate, journaliste, critique et marchand d’art. Il a joué un rôle notable dans la diffusion de l’art moderne à partir des années 1920s. Il fut un proche, entre autres, de Marie Laurencin, Man Ray, Francis Picabia, Jules Pascin, Juan Gris et Marcel Duchamp. Il est aussi connu pour être l’auteur des romans « Jules et Jim » et « Deux anglaises et le continent », tous deux adaptés au cinéma par François Truffaut.

En son honneur, la municipalité de Saint-Robert décida, en 2017, de baptiser « rue Henri-Pierre-Roché » la voie longeant le pavillon de Noailles. Une cérémonie d’inauguration fut organisée en présence de Xavier Rockenstrocly, président de l’association « Jules et Jim ».

Mais quels furent les liens de ce dandy parisien avec le village de Saint-Robert ?

Photo : La Montagne, 05/10/2017.

 

Henri-Pierre Roché devant le panorama de Saint-Robert.

Photo André Lefèvre pour Paris Match, 19/09/1953

 

Un collectionneur écrivain

En 1911, Henri-Pierre Roché et sa mère Clara-Louise Roché firent l’acquisition du pavillon de Noailles, demeure seigneuriale située à Saint-Robert, dans la rue qui porte désormais son nom. Après la grande guerre, la bâtisse fut restaurée au plus près de son état d’origine du XVIe siècle et Henri-Pierre Roché en fit sa résidence d’été, jusqu’à son décès en 1959.

Compte tenu de sa profession de marchand d’art, Henri-Pierre Roché convia des artistes célèbres à y séjourner, au cours des étés de 1920 à 1950. Ainsi, il accueillit Georges Papazoff en 1930, qui y créa et en ramena une série de toiles. Il reçut plusieurs fois le peintre Wolfgang Paalen entre 1952 et 1954. Dans les années 1950, il envoya plusieurs lettres de Saint-Robert à Pablo Picasso et échangea une importante correspondance avec Gertrude Stein et Sonia Delaunay (à New-York).

C’est dans la tourelle de sa « belle demeure de Saint-Robert », où se trouvait son petit « scriptorium », qu’Henri-Pierre Roché aurait écrit son roman « Jules et Jim », largement autobiographique. L’ouvrage est en effet inspiré de ses amours avec Helen Hessel (mère de l’écrivain Stéphane Hessel), qu’il immortalisa sous les traits de Kathe, devenue dans le film Catherine jouée par Jeanne Moreau.

Une vie sentimentale compliquée

De fait, la vie sentimentale de ce dandy, « collectionneur de conquêtes féminines autant que d’œuvres d’art », a été plutôt mouvementée. Il fut notamment l’ami intime, et probablement le premier amant, de la célèbre peindre Marie Laurencin (vers 1906). Après diverses conquêtes féminines, sa rencontre la plus marquante fut celle de la peintre allemande Helen Grund, en 1912, dans le quartier de Montparnasse à Paris. La jeune femme lui inspira aussitôt un amour qui deviendra « l’obsession de sa vie ». Pourtant, elle épousera en 1913 son compatriote, l’écrivain allemand Franz Hessel (Jules dans le roman).

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Une des rares photos publiées de Helen Hessel (Grund)

 

Malgré le mariage d’Helen avec Franz, Henri-Pierre Roché vécut avec elle, durant plusieurs années, une liaison passionnelle et compliquée. Ce qui ne l’empêcha pas d’épouser secrètement, en 1929 (année du décès de sa mère), Germaine Bonnard, surnommée Mno. Cette jolie parisienne, créatrice de poupées, devint la « Madame Roché » qui vécut longtemps à Saint-Robert.

Henri-Pierre Roché avait en effet l’habitude de passer avec Germaine plusieurs mois par an à Saint-Robert, durant la belle saison. Ces séjours étaient l’occasion de manifester son amour pour son épouse officielle. Car il menait, depuis plusieurs années, l’existence d’un « bigame », se partageant entre Helen et elle. Or, la situation se compliqua, l’année même de son mariage (1929), lorsqu’il rencontra Denise Renard, qui l’aida à régler les démarches liées au décès de sa mère. Désormais, trois femmes, se considérant chacune comme « la légitime », durent se contenter de deux jours fixes par semaine avec leur compagnon polygame. Cependant, c’est Denise qui lui donnera le fils longtemps désiré, Jean-Claude, faisant de Henri-Pierre un jeune papa de 52 ans ! Jean-Claude Roché (1931-2025), dit Jean Roché, deviendra un ornithologue et bioacousticien reconnu.

Après une séparation douloureuse entre Helen Hessel et Henri-Pierre Roché, réglée par avocats interposés dans le courant des années 30, l’officielle Madame Roché (Germaine) décida d’habiter définitivement à Saint-Robert. Des anciens du village se souvenait d’une femme élégante portant de longues jupes grises. Son époux continua d’y passer les mois d’été et échangea une correspondance avec elle, de moins en moins abondante au fil des ans et traitant souvent de questions matérielles et financières, car il lui avait donné la jouissance de la maison et continuait de lui verser une pension.

Deux mois après la mort de Germaine, en 1948 à Saint-Robert, Henri-Pierre épousa Denise. Après cela, il retourna régulièrement dans notre village, où il allait souvent à la messe, car il était en bons termes avec le curé.

Après son décès, en 1959, le pavillon revint par héritage à son fils Jean-Claude, qui se mariera à Saint-Robert dans les années 60. 

Le roman et le film « Jules et Jim »

S’inspirant en grand partie de sa propre histoire sentimentale, Henri-Pierre Roché aurait commencé à écrire « Jules et Jim » en 1942/43. Il en remit le manuscrit en 1946 à Gaston Gallimard, qui ne le publia qu’en mars 1953. L’ouvrage rencontra un succès critique qui lui valut une nomination au Goncourt. C’est ainsi qu’un beau jour de fin d’été 1953, un journaliste de Paris-Match vint à Saint-Robert et publia le 19 septembre un grand article, avec photo, sur cet étrange « jeune » romancier. Mais il faudra attendre la sortie du film de François Truffaut, en 1961 pour que l’ouvrage connaisse enfin le succès auprès du public. Il s’en était fallu de peu, car le réalisateur aurait découvert l’ouvrage par hasard chez un bouquiniste et aurait été attiré par son titre « très musical ».

Une véritable amitié naquit entre les deux protagonistes et Henri-Pierre Roché échangea une correspondance régulière avec François Truffaut, qui préparait le scénario. Mais il mourut en 1959, deux ans avant la sortie publique du film.

Quelques années plus tard, en 1971, François Truffaut tournera « Deux anglaises et le continent », adaptation du deuxième roman de Henri-Pierre Roché. Probablement teinté lui aussi d’autobiographie, il raconte les amours d’un jeune collectionneur d’art pour deux sœurs anglaises au début du XXe siècle…

 

 

 

Documents annexes

 

Lettre de Henri-Pierre Roché publiée dans l’Avant-scène Cinéma, 1962

Cher François Truffaut,

C’est de la divination, oui, la girl de votre carte ressemble à Anne.

Je quitterai Paris vers le 20 juin pour Saint-Robert (Corrèze) (adresse suffisante), pour trois mois. Si vous venez voir un jour la splendide grotte de Lascaux, elle n’est qu’à 30 kilomètres de chez moi, où vous êtes invité.

Bien amicalement à vous.

PS : Je pense à votre futur film !

 

Conclusion de l’article de Guillaume Hanoteau dans Paris Match (sept 1953)

“Chose singulière, c’est que ce roman […] apporte à ceux qui le liront un message d’espoir. C’est que Henri-Pierre Roché, au terme de sa vie, semble avoir trouvé le bonheur ; entre sa vieille demeure de Saint-Robert, en Corrèze, et son appartement du boulevard Arago, où sont réunies trois cent toiles des plus grands peintres du XXe siècle. Cette faveur, il la doit sans doute au fait qu’il n’a jamais recherché ni la gloire, ni la fortune, mais qu’il toujours voulu être un modeste serviteur de l’Art.”

 

Article « La montagne », 05/10/2017

Henri Pierre Roché, écrivain (Jules et Jim, film de François Truffaut), collectionneur, critique, achète le pavillon de Noailles en 1911. Il y séjournera de façon épisodique jusqu’à sa mort en 1959. En son honneur, le Conseil municipal, a décidé de baptiser la rue Henri-Pierre-Roché face au pavillon de Noailles. Une cérémonie d’inauguration par la municipalité, s’est déroulée le samedi 30 septembre [2017], à 11 heures en présence du président de l’association « Jules et Jim » Xavier Rockenstrocly.

 

Sources

  • Guillaume Hanoteau. « Dans la course au Goncourt, un débutant de 74 ans. » Paris Match n°235, 19-26 septembre 1953, pages 54-55 (photo André Lefebvre)
  • Madeleine Catherine Kepler Du Toit. « Henri-Pierre Roché : À la recherche de l’unité perdue. Le devenir d’un écrivain » . Thèse de doctorat. Octobre 2006, Université de Prétoria.
  • Laurence Madeline, Laut Ferri. « Les archives de Picasso – On est ce que l’on garde ! » Editions Réunion des Musées Nationaux – RMN (24 octobre 2003)
  • Scarlett Reliquet, ‎Philippe Reliquet. « Henri-Pierre Roché, l’enchanteur collectionneur. » Editions Ramsay, 1999.
  • L’Avant-scène Cinéma. Numéro 16 du 15 juin 1962. Spécial « Jules et Jim ».
  • « Jules et Jim », Site Internet de l’association « Les amis d’Henri-Pierre Roché »
  • « L’inventoire », Les carnets d’Henri-Pierre Roché : genèse d’une passion.

 

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